No limit no control

La rue était déserte sur les deux côtés. Un léger vent soufflait les dernières feuilles. Elle avança dans l’impasse en plein jour. Elle visualisait bien l’entrée de l’abri. Un homme au visage gris la bouscula mais elle était indifférente. « Non, je vous remercie, j’ai besoin d’être seule ».

Y revenir une autre fois aurait sans doute été préférable. Elle tournait sans direction. Puis, les rues tombèrent dans la nuit. L’obscurité la protégeait. Elle entra enfin dans la taverne par la porte de derrière. Ses mains dans les poches touchaient sa peau brûlante. Le contact avec la chair stabilisait les aiguilles des sens dans l’instant. Au signal du phare, son ombre vacilla dans le miroir, aucun bruit dans la chambrette. Elle identifia les différentes profondeurs de l’antre. Traversa le couloir sans ciller. Descendit l’escalier une lampe torche à la main. C’était un mauvais passage. Elle sortit un bonnet de son sac pour se couvrir. Son corps vibrait dans un tumulte orchestré. On burinait quelque part à l’étage. Les sons se répercutaient dans sa tête malade et caverneuse. Images sordides du vendredi soir. Des gens descendaient sur les voies empêchant les autres de rentrer chez eux. D’autres bricolaient avec ou sans le projet de désastre fin-de-semaine. D’autres encore envisageaient de se confondre dans la folie de l’impertinence.

Elle était arrivée à la grille qui délimitait la contrée. Au-delà, la chaleur du désert et le bleu des orées. Retrouver le code dans son intégrité. Griffa sur le mur quelque dessin invisible. La porte s’ouvrit avec difficulté, elle pouvait croire qu’on l’attendait. Un malin lui donnait sa chance. Elle marcha dehors, elle était libre. Elle le voyait ainsi.

Mirage.

Aspiration de la lumière non-neutre. Sens parachutés au bord de l’empire. Abandon. Devant la bouche du métro, au point d’absolution. Sur le sol, elle n’en pouvait plus, tant de feux éteins. Elle se réfugia derrière ses mains. Ses cheveux venaient recouvrir ses paumes, figure opaque de décembre. Comment savoir ce qu’il avait écrit après ? Elle se souvenait seulement du dessin. Envoûtés, ses doigts l’avaient retrouvés, en mémoire. Mais, y avait-il d’autres choses à se rappeler ?

Maintenant.

Maintenant elle laissa tomber ses mains et défit son visage. Regarda la forêt si proche. Ses jambes légèrement écartées respiraient la terre ferme. Ronde interminable dans la nuit, elle stoppa l’édifice. Avec un léger mouvement des hanches, elle dévia les visions. A genoux près de l’arbre, elle sourirait. Ses guenilles fendaient l’orage. Des caresses en prémisse giclaient au creux de son bas-ventre. Secret. Formule à peine murmurée. Elle ne savait pas encore de quoi il s’agissait. Elle était seule. Les ombres s’étaient fixées dans la nuit.

Nuit.

Un signe tressaillit dans l’éclatante perspective sans lumière. Texture encodée sans impression possible, patine éphémère, forme décuplée. Rétine en pleine mutation. L’appareil s’était tu. On aurait dit une chimère d’un autre siècle. Spectre mélancolique, illusion d’une autre fin. Sentimental plus que d’étrangeté. Un déracinement de cérémonie virtuelle. Elle courut presque pour le rattraper, jusqu’au bord de l’avenue. Vacuum d’aventure. Sa sueur percutait ses idées obscures. Regards en reflets. Ombres. Ombres. Les tendres n’étaient pas à piller. Aveu de lâcheté. Goûts entremêlés. Verbes inusités, sujets en guerre sainte avec ce qui restait de mémoire. Quête des mots auto-générés, finitude des marches éternelles. Les heures passaient sans transition. Quelques gouttes s’écoulaient derrière son front. Jusqu’à demain. Demain, dissolvant à volonté.

L’homme qui était revenu en était certain. Son cul ne correspondait pas aux photos qu’il avait. Le bras était perdu. La fenêtre ouverte sur l’obscurité. Dans l’urgence, il défeuilla l’évidence. Manifestation de retours imparfaits. Son poil brunissait au souffle des hivers. Le blanc perdait sa vertu. Par la main qu’un homme pourrait passer entre ses cuisses. Vertigo.

L’escalier à l’étage était sans issue. Et même la porte était fermée. De l’intérieur. Tournis des moineaux en deserrance. Son histoire, ici au point nommé de rupture avec la nuit. A la fin de la nuit. D’après ses notes, l’espoir revenait au petit matin. Six mois de route immobile. Il s’en fallait de peu pour que la magie tourna de nouveau au combat. Il boucla les ondes. L’énergie du voyage, les liquides insomniaques.

Sa cellule était trop petite pour contempler les cieux. Et il manquait des sphères essentielles. Dernier morceau de pain. Sans lui c’était vain. Elle pensa qu’il avait déjà vécu tout ça dans sa vie d’étranger. Le tumulte de la peur et le silence disparu. Pas exactement la peur. L’aspiration sans contrainte des lignes parallèles. La distance au fond du puits. Le frottement absolu avec le vide. Les mots devenaient abstraits, les images si lointaines de leur musique. Depuis, la neige avait recouvert leurs tombes et les larmes ne suffisaient plus. Sauf les doigts ensanglantés, sur les touches désargentées des pianos condamnés. Sifflements continus.

I can’t give it up.

Lutte des fractions de seconde en millième. Elle arracha quelques morceaux de chairs accolés à la flamme. Les membres survivaient sans se toucher. Tons en mode dorien. Palpitaient souverainement. Intérieurement. Dans leurs solitudes recluses. Elle l’éprouvait ainsi. Les opuscules oubliés révélaient leurs talents. Dans le mouvement de la balade Mysteries of love. Elle entendait les choeurs fondre dans l’écho du chant, et le froid brûlait son coeur malade. Aucune issue en vue. Elle était devenue aveugle, très certainement. Il y avait trop de morts autour d’elle. L’esprit-de-vin embaumait son corps. Un luxe à consommer rapidement. Faute de seringue, c’était l’espace de sa prison. Personne ne viendrait la prendre ici. Seule la misère, de l’intérieur, pourrait l’approcher dans la confusion entretenue. Contrecoups. Tonnerre de novembre. Elle en était presque certaine, elle ne pouvait devenir cet autre, mort.

Terres des morts.

Marcher, lire, lire, courir, voir, se perdre encore, pour voir, pour marcher, pour rien. Marcher. Sortir de cette chambre sans fenêtre. Froid des territoires inconnus. Chocs des disparus. Brûlures au millième degré. Elle le savait : au pied du lit, aucun reste, ni de ces drogues, ni de cette foi palliative. Dans la rue. Des alligators à lunettes. Non. Ce n’étaient que de rares passants égarés. Noël aux fenêtres. Rues désertées. Corruptions des temps, mais sortir. Sentir le contact avec le bitume. L’espace devant. Marcher. Courir. Brûler. Encore. Brûler les pieds gelés dans ses chaussures crevées. Courir au-devant de la fiction d’avant.

Le premier train. Vers l’Est. Dormir définitivement. Couchettes. Esseulée. Désarmée. Nuit sans termitude. Au clair de lune, un homme en contre-bas. Son regard plongeait dans l’extravagance de sa luminescence. Il en était gêné mais continuait à jouer. Jusqu’au passage à la frontière. Le concert était exceptionnel. Elle dormait et mouillait. De fines perles éphémères. La carte tournait. Le monde s’effaçait dans l’exactitude de ses songes. Dissipation des oracles. Au creux de ses cris il la regardait maintenant. Sa main fouillait l’obstacle de ses prunelles noires. Les arbres défilaient au rythme du train en vain. Tambour dans son corps. Il la frappait durement. Dans la délicatesse de l’entre-deux. Indivisible. À contre-coeur de sa folie. L’ampleur de la désertion ne cédait pas d’un pouce. Nouvelle direction. Vers le nord. Sans un souffle. Mourir - avec les basses qui alourdissent le poids des ans. Sous le regard sans regard de celui qui est déjà parti. Elle saignait encore. Elle pleurait. Elle n’en avait nulle conscience. La peau brûlée cicatrisait dans un certain sens.

Dehors, elle écoutait. Bruit des camions sous la pluie. Gris des tumultes compressés de l’intérieur. Elle écoutait regarder son oeil. Celui qui voyait, et le gauche qui vibrait, au bord de l’asphyxie. Bande obscure. Stigmate des marquises en déséquilibre. « Qu’est-ce que tu aimes faire ? ». Evagations. Finir son verre. Descendre là, à la prochaine station. Et monter dans le premier bus. Laisser défiler les paysages déserts. Film inédit, en direct de ses yeux avides. « Ce que j’aime faire ? Ou ce que j’aime qu’on me fasse ? ». Il l’aveuglait de sa torche, elle cillait. Il la tenait fermement contre la porte fermée. Le concert détonnait. Le film continuait. Abus d’autour d’elle. Les prisonniers de l’abbaye. Les fins sans prise. L’un l’autre. L’un sans l’autre. Au-delà de l’emprise. A la fin il baissa la tête. Déroute. Cou brisé, paumes enlevées. Distance. Elle ramassa ses cheveux en boucles lasses. Les mains tombaient. Dans les cultes anciens, les statues du jour étaient sciées la nuit. La pluie dégringola, symétrique.

Au second passage.

La pièce se trouvait vide. Glissade à la fenêtre. Contrepoints et ouvertures en cacophonie. Les images du théâtre de la volupté continuaient de dilater ses pupilles. Aveuglement. Repartir sur la piste. Sa danse folle amplifiait les ombres de son corps. Déchirement des chaînes solitaires. De l’intérieur la fascination était permanente. L’orage ne créait plus la peur, même dans la fragilité de son corps nu. Espace à habiter, mouvements à sceller. Appeler à nouveau. Elle tentait de capturer les ondes nocturnes. Flux internes, externes. Lents gestes d’incidence. Signaux diffractés. En impression presque instantanée. Elle ressentait enfin la puissance des organes. Retournait à la terre, dans sa prière. Y semait l’enfer. Dans le continuum de ses pieds creusant des sillons d’intranquillité. Maintenant elle embrassait les marées de sa mère au lointain. De splendides voiles refoulaient sur ses yeux. Fugue en mie quantique.


L’album WXY en suspens (réserver sa place)

Ces images détiennent en leur sein une musique à venir, je le sais ...



vendredi 1er janvier 2010