La mort est blanche

C’est la première chose qu’il m’ait dite - après les civilités et autres courtoisies d’usage entre étrangers. "La Mort est blanche". J’ai ajouté : "Le lac est rond comme la pleine lune", après en avoir fait le tour.
J’ai vu combien est immense la blessure, sont profondes les entailles, noires les intermèdes. Rouler toute la journée sur ses bords entre les marécages, dans la montagne par delà les cols interminables, tout cela n’avait pas suffi à rétablir le contact. Mister Z. effrayé le matin, joyeux à midi, était perdu à nouveau la nuit. Il n’était pas sorti de Van depuis des années. Depuis la mort de son père et le complot de ses frères. L’Etat ne l’avait pas épargné non plus dans les années 2000. Etre kurde avec des projets d’exil n’est pas aisé. Aujourd’hui Z. est brisé. Il marche toute la journée entre la boutique de tapis de ses amis, le café de ses potes et salue quelques autres dans le bazar iranien.

Z. n’attend plus rien. Il boit du thé. La nuit de la bière quand il a quelques sous en poche. Il pleut dans son taudis l’hiver et l’eau gèle au robinet. Parfois il arrive à capter des chansons étrangères sur une radio antique.

J’ai été happée par ce morceau de vie encore vivante - à un moment de mon voyage, à Van au bord du lac. Une connexion unique, exceptionnelle. Nous avons partagé du temps, l’espace de la marche. Peu de mots, de confidence. Aucune de ma part. Une relation éphémère sans brûlure, un petit caillou dans le lac.

Une pause pour moi dans l’errance entre les différentes villes de l’Est, les hôtels plus ou moins sordides avec des gars qui cherchent à m’emmener ici ou là où vont les touristes. Je traverse des villages où les hommes et les femmes continuent de vivre. Je garde le cap, hors de ces réalités. Non les images n’ont que peu à voir avec la réalité. Et les mots, lointains, sont insuffisants. J’essaie moi-même de me déconnecter avec les besoins réguliers, le confort de petite parisienne. Cependant ce soir c’est d’une chambre d’hôtel que j’écris. Sur mon portable, allongée dans le lit. Après avoir pris une bonne douche chaude.

« L'espoir et le futur ne résident pas pour moi dans les pelouses et les champs bien cultivés, ni dans les villes et les villages, mais dans les marais impénétrables et mouvants. » De la marche, H. D. Thoreau

Le blanc de la mort n’est pas une expérience nouvelle. Les voix non plus. Les fantômes et sorcières aux aguets, je les connais aussi. Le lac est une épreuve d’une beauté qu’on ne peut imaginer. J’avais oublié. Vibrations autres que sur le Bosphore. 4-5 jours n’étaient pas suffisants. Je n’ai pas le droit d’en parler. Je suis partie. Ils sont des centaines à errer là-bas, toute la journée, d’un point à un autre. Aucune image ne peut entrer dans le cadre ... Ils habitent la mélancolie.

Une musique pour pleurer encore ... 'Antony And The Johnsons - The Lake?