attIRANce " Un jour, il me faudra repartir et quitter cette île"

Passages (bazars)



fantaisies dorées

passages (bazar T.)

étoiles

chemins intérieurs

rayon

pause thé

textures nomades

passages (mosquée)

tapis nomades (et feuilleton télé)



Passages (bazars)

Fuir ? Non. S'égarer pour échapper. Passer, traverser ? transrelle. Pénétrer dans le bazar de Téhéran, pour commencer, juste après le retrait des devises, rue Ferdosi. Une idée comme une orientation, obsession. Au sortir de l'hôtel, des boutiques de plombiers à droite et à gauche. Une foule d'hommes. J'étais dans le quartier artisan, au c'ur du vieux Téhéran populaire. Le maître d'hôtel m'a ramenée la veille de l'aéroport dans la nuit sans presque me regarder. Non à cause de mon foulard fraîchement déplié. Peut-être ai-je tardé à le rejoindre, prise dans l'étouffante chaleur du tarmac. 35° à 22h30. Le Mondial à la radio pour un accueil transnational. C'était samedi, le premier jour de la semaine. Dans le bazar, la foule, les couleurs surtout, et la brillance. Les passages étroits entre deux pyramides de draps noirs et les enfants sages, les escaliers, les tapis des mosquées que je traverse sans savoir, puis tout d'un coup, l'espace qui s'ouvre, la cour avec son bassin pour les libations et cette entrée dérobée que je prends, juste à côté du marchand de pierres précieuses. Là, c'est le bazar des tapis. Il suffit de demander. Un marchand m'accompagne. Plus loin, des hommes s'arrêtent pour boire l'eau à la fontaine. L'eau est glacée et très bonne. Epuisée, je m'assoie un moment sur les marches d'une galerie, près des mannequins sans tête à cause du foulard. J'attends la fin du passage du cortège : une foule d'hommes en peine. Je n'ai pas vu de corbillard. Ni de femmes. Quelle cérémonie, quelle temporalité derrière ce silence passager en noir ?

Je reprends la marche dans les rues de Téhéran. Au hasard. Sans nulle boussole. Un soleil de plomb. Et la pollution qui tue. Le Lonely Planet et mon appareil photo au fond de mon sac. Je refuse le rôle que l'on voudrait m'attribuer : touriste. Je suis partie seule, quel voyage allais-je faire ? Sans fortune à dépenser. Juin - juillet 2006. Personne n'aurait pu dire cette fois-ci que c'est une erreur. Juste la nécessité d'un voyage au pays de l'intérieur. Encore des questions ? Je cherche une librairie.

A Esfahan, les hommes me regardent d'une autre manière. Habitude des touristes et journalistes. Je retire mes lunettes : « Non je ne suis pas mariée », « Oui j'ai un copain ». Tiens, voilà, c'est nouveau ! « Qu'est-ce que je fais en Iran ? ». « Je suis venue à cause de Kiarostami ». Je ne vais pas leur raconter mon désir de liberté. Sans jamais savoir pourquoi, pour qui, et jusqu'où ? Peut-être est-ce à cause de mes 20 ans de secret, du soleil d'Ahura Mazda ou de l'ombre de Nietzsche ?

Je sens ce pays comme le mien. Remplie de contradictions, plaisirs, évidence et oppositions, foules de rencontres et vallées de confrontations. Ambitions et impossibilités. Celles d'aller là où l'on ne m'y attend pas. Chemin, aux limites de cette absurdité que j'aime assumer. Je me laisse porter.

Je rencontre des marchands de tapis comme on croise des voyageurs raffinés, des savants reclus au fond du caravansérail, qui auraient traversé des pays lointains et imaginent des femmes cavalières, impossibles. Des hommes qui vivent à la marge, frôlent les interdictions de la religion étatisée. Et chassent le touriste quand il n'est pas une denrée rare. Je ne veux pas de leur or. Alors on parle, ils déroulent des tapis et touchent des tissus précieux. Le désir danse sur les drapés soyeux comme ces mains qui déroulent et s'enroulent et ces mots perses en suspens que je ne comprends pas, qui me font sourire encore, une invitation à respirer la poussière des terres nomades. Que leur dire, que leur souhaiter ? La vie est difficile pour eux ici. A cause de dieu. A cause des hommes qui ont créé dieu.

Je décide de laisser la délicieuse Esfahan pour rejoindre le désert de Yazd aux portes monumentales. Derrière moi monte la fumée des coupoles vernissées. Des hommes bruns poursuivent des rêves blonds le long des passages secrets. Un jeune homme de Yazd me propose des poteries turquoises, en français. A la tombée de la nuit, des shirazis aux cheveux rouges et d'autres aux yeux bleus virent dans le noir. Le libraire ne pleure plus. Tant de voyageurs impénétrables.