attIRANce " Un jour, il me faudra repartir et quitter cette île"

Esquisse d’un voyage intérieur



chambre, 1ère nuit

autoroute

tour et cercles

arrivée du train

quelques notes

mémoires

chants intérieurs

et la solitude du photographe

chambre étoilée



Esquisse d’un voyage intérieur

Je n'ai pas de souvenir de ma première nuit à Téhéran. Juste une attention pleine. Pleine de couleurs, d'odeurs et de nuit. A peine ai-je posé le pied sur le tarmac brûlant, je sens des parcelles de clandestinité. Une alchimie évidente. Est-ce la chaleur qui m'envahit à l'heure de minuit ? Un agent tamponne mon visa. Aucune crainte en suspens, « just a pleasure ». Je récupère mon trésor. J'ai l'impression de rejoindre des mondes vagues, souterrains, au devant de moi.

Le taxi roule à toute allure des montagnes d'Albroz. Je suis seule, je descends vers le c'ur de Téhéran. J'ai l'impression d'être dans une coquille qui traverse les espaces. Violence des émotions qui bousculent les sens. Que m'arrive-t-il ? Serrement de c'ur ? Plaisir. Corps saisi par une sorte de puissance primitive. Torpeur. Expérience intime au bord de la dépression centrale, cavale ultime dans les imaginaires défragmentés. Dans certains virages, sur d'autres versants, je croise des mémoires comme des paysages levants et je patiente. Je ne suis qu'une ligne de feu. Je descends du train. Liberté volée et solitude de velours. Impression d'arrêts, d'interdits et d'infinis. Combien de temps cela va-t-il durer ?

Sans arrêt, hésitations entre images et émotions. Prendre ou laisser filer, développer ou s'échapper. S'arrêter ou fuir. Questions lancinantes comme une tentative. J'essaie d'avancer plus loin. Viser cette fumée qui dérape au sommet, toucher cette terre qui se dérobe sous les pieds, briller comme une perle transparente qui mouille les yeux. Un instant. Eclats de feux continus. Marcher vers ce qui libère et est libéré. Je tente des passages dans les ruines des splendeurs passées. Le roi seljoukide est enterré ici dans l'alignement du soleil au zénith. Je poursuis la marche.

Lost in Persia. Trois nuits à surveiller le silence à Yazd. Between two worlds : sensible and no-sensible. Je regarde les étoiles en perspective. Est-il possible de dire / d'écrire ? Regarder à l'autre bout de la planète par convergence croisée. Témoins des poètes, porte-secret des solitaires, chemin pour les condamnés. Passages pour les aventuriers. Guides pour les fanatiques. Après avoir vu le visage de Khomeyni sur la Lune, les iraniens osent-ils encore regarder les étoiles ? A quoi rêvent les perses bleus ? Et maintenant, devant ce miroir, quels rêves ferai-je ?

Moments de repos intérieur. Unité. Autoportrait dans les toilettes du jardin de l'autre côté du palais Ali Qapu à Esfahan. Etonnant reflet avec lunettes. Je me cache. Je me retiens au bord de la limite, encore une fois. Seul, le photographe à l'ombre des arcades. Les lumières intenses. C'est tellement surprenant. Il me suffit d'entrapercevoir la frontière. Cette ligne intense qui conjugue les contrastes. Alors, peut-être la prochaine fois, je franchirai le tourbillon des océans.

« Une perle hors de la nacre et de l'espace et du temps,
Il la veut des égarés, sur le bord de l'océan », La quête du Graal, Hafez

Dans le taxi vers l'aéroport, l'homme qui m'accompagne demande d'augmenter le son. Je l'interroge du regard. La musique est puissante. Des choeurs déraillés paniquent les instruments à cordes et le vent qui bouscule les dernières pensées. L'instant d'après, je tente dans l'avion qui me ramène en France de calligraphier quelques uns de ces tourbillons multiples. Le papier reste blanc. J'essaie de retenir les lignes des nuages. Les larmes me saisissent au vol, minces fils d'horizon. Le champagne est frais et les pistaches tellement douces. Au milieu de la nuit le calme est noir profond.