attIRANce " Un jour, il me faudra repartir et quitter cette île"

Le paradis et le feu en héritage



bleus transparents

encre

femmes au bord de Saadi

ombres douces

langue française en héritage

ghelyan ou narguilé

reflets de feu

secrètement

souffle du vent immobile



Paradis et le feu en héritage

Tout à côté du bazar intérieur obscur, le paradis jardin persan, miniature de dédale en multiplicité, où les roses sont la simple preuve de dieu. Partout près de lui, dans ces paradis façonnés par les hommes, dans ces mosquées élevées à sa gloire, je trouve le silence et la fraîcheur, le temps d'une pensée insoumise, d'un repos éveillé. Sur la montagne Jamshidiyeh au petit matin, la paix revient aux promenades amoureuses. Quand les mots sont susurrés avec frisson, je devine à travers leurs regards et leurs attentes que boire à la coupe de Jamshid donne accès à l'immortalité.

« Pendant des années nos c'urs ont désiré le pouvoir de la coupe de Jamshid et ont cherché auprès d’autres ce qu’elle avait en elle-même. » Le Diwan, Hafez

Un jeune étudiant m'explique les yeux brillants : « God is in love with us  ». De ses yeux noirs brusquement il poursuit avec flamme et sérénité : « Because he has created us for not any expectation. He wants us just to be and to be alive. He just wants us to breath and be in his world  ». Pour lui faire plaisir, je photographie quelques boutons de roses blanches. Celles qui auront été sauvées de la colère d'Ahura Mazda. A nos pieds, les eaux de la montagne se répandent dans les jardins du Palais Niyaravan. Après Zarathoustra, les hommes se réfugient auprès d'Allah. Le Bien et le Mal veillent.

Mon péché secret est de voler des images corps d'amoureux. Images futiles et éphémères, maniera floue. A l'ombre des grands arbres, quand les mains se confondent sousles lumières tamisées de la fin d'après-midi. Dans le jardin près de la fontaine quand le jeune homme assis à l'autre bout du banc parle doucement à sa belle par l'intermédiaire d'une autre femme assise entre eux. Près des mosquées pour les plus hardis sous les bleus transparents de la délicatesse. D'autres passent en se regardant sous l??il fixe de la coupole. Ou encore, ceux-là tendrement occupés à l'abri des tombes des poètes libertins - j’ai trouvé ça osé, mais c’était le XIIe siècle. Discrets, ils commercent, j'envie leur exil. Je relis les lignes du célèbre Hafez pour me repérer dans ce labyrinthe des sens et les femmes sur les marches de Saadi pleurent les vers bleus et verts.

Sur un banc dans le jardin du shah, où je grignote des figues ce jour-là, un vieux cordonnier vient me retrouver. Il me demande s'il peut s'asseoir près de moi, si je veux bien parler français avec lui. Tous les jardiniers le saluent au passage. Certains s'arrêtent pour bavarder un peu et en profitent pour demander de quel pays je viens ?et quel est mon dieu. Cet homme veut apprendre le français pour être guide, il lit une biographie d'Alexandre Dumas qu'un touriste lui a laissée. Il a noté les mots qu'il ne comprend pas. Je lui en traduis quelques uns, d'abord en français puis en anglais, s'il le faut. Il prend note dans son cahier.

Ces étudiantes m'interpellent, elles me demandent mon nom. Que signifie F'orenc? en français ? Elles portent leurs désirs de femme libre en Iran. « Do you travel alone ? ». Leurs désirs de paradis. Derrière leurs sourires, toute la peine d'être diplômés en informatique au chômage. J'ai fumé le guelyan pour échapper. Je retiens et je poursuis.

Près des cerisiers, le goût du feu pour irriguer les sources souterraines. La ville en ruine fond dans la chaleur et le silence du désert, près d?Esfahan. Les grenades de cet îlot rescapé portent les souvenirs de ce village déserté. Une femme en noir passe dans les tunnels de terre de pisé. Je prends la photo. Classique. Trafiquer les couleurs pour retenir l'essentiel. Au bord des frontières de ma réalité. Je trouve un portrait de femme, encre noire, au pied de la tombe d'un chef islamique respectable, elle délibère avec toute sa naïveté dans ce mausolée isolé. Culte de la mort qui nourrit les âmes esseulées. Nous prenons un thé en parlant des montagnes du sud. Un jeune garçon s'occupe des roses trémières et du tournesol, insouciant du passage des camions. Je prends une dernière photo de ce paysage, au bord de l'autoroute hors des sentiers patrimoniaux. Abandon des autorités.

Le feu ardent, c'est à Yazd, la ville aux rites zoroastres où je m'y brûle. Un esthète trace des lignes et des courbes dans la nuit de Yazd. Il essaie de me convaincre qu'il parle français. Alors il chante un poème de Ronsard. Il imagine qu'il est seul avec une femme face aux étoiles. Comment pouvais-je imaginer à l'avance que j'allais trouver ici toutes ces intensités et passions ?

Sous l'ordonnancement des volutes, dans le foisonnement des bleus et des roses dans la multitude des lumières ocres. Je me suis enfin (re)posée. Halte prolongée ici à Yazd sur les bords du désert. 45°. Je me perds à la recherche des champs vagues que je ne connais pas. Les mondes lointains, aussi inaccessibles que les images que j'invente pour me rassurer, rejoignent ici ceux de l'enfance. Je sens les passagers du vent frôler mes hésitations, ils n'ont pas la consistance de ces flots qui hantent mes nuits, ni la transparence des voiles qui persistent dans mes visions photographiques. Nomades intrépides loin des traces des anges. Des flammes qui embrasent les peaux trop sensibles et lèchent les c'urs endormis. Je me laisse porter par intermittence. Avancer encore plus loin.

Passage à Chak Chak, le feu est entretenu comme un secret. Nulle évocation des enfers, nulle passion. Un silence pour prier face aux montagnes. Le gardien solitaire à 6 heures du matin nous ouvre la porte, au bord de la folie. Autrefois on déposait les corps des morts dans les tours du silence pour qu'ils disparaissent dans les entrailles des aigles. Pas d'inhumation - pour garder la terre pure. Pas d'incinération - pour garder l'air sain. Aucune trace pas même un souffle. Dialogue entre un miroir et l'infini derrière. Interception de l'ombre au reflet pers.

Dans le taxi au retour le chauffeur me propose d'acheter de l'alcool. Du vin de Shiraz ? Les terres d'ombres et de liqueurs royales à portée de poètes. Je goûte quelque chose qui ressemble à de la vodka maison. Je bouscule les voiles de poussière, filtre les textures cristallines et vole l'ivresse des rouges nomades. Mes lèvres happent les senteurs des terres lointaines.