attIRANce " Un jour, il me faudra repartir et quitter cette île"

Au travers des grenadiers



sur les bords du mausolée

curiosités

douceur du père

vers la vallée

image rescapée

chemin des galantes

jardin

jardin 2

jardin (suite)



Traversée des grenadiers

Aucun champ d'oliviers, ceux-là même de Kiarostami que je cherchais. Quelle importance maintenant. Je traverse les jardins de grenadiers en fleurs. Leurs pétales à peine orangés vibrent au côté des fruits vert cru, dans la lumière de ce printemps qui n'en finit plus. Une vieille femme à l'orée de la cour dans ce village abandonné me prie de ne pas la prendre en photo, « elle est trop vieille », me fait-elle dire. La lumière est violente. Ses mains sont généreuses. Des fragments de quelques fresques millénaires, histoire sur céramique bleue, recomposition du hasard dans cette partie du monde abandonnée. Signes, fragilité, beauté.

Je traverse les plaines jusqu'aux montagnes de Shahr-e Kord. Les cris de la bergère m'étourdissent. Quelque chose me chagrine. Le soleil commence à décliner. Je l'accompagne jusqu'au lac. Des moutons et des chèvres. Des chiens qui courent, excités de joie. Un paysage de souvenirs de lointains héritages. Là, les reflets de la lumière du soir dans l'eau pale décolorent mes photos. Quelques heures encore, j'hésite dans ce folklore, et puis dans la nuit, sous la tente, j'apprends. J'accepte la vérité de leurs sourires. A la lumière d'une lampe à gaz, leurs visages deviennent monumentaux. Des registres à découvrir. Entre la flamboyance des tapis et le claquant des téléphones portables. Musique gadget sur fond d'images sensuelles interdites. Les femmes à l'autre bout de la tente. Je cherche à entendre leur musique secrète. Au bord de leur silence de folie. Le lendemain, un vendredi matin. Le soleil se garde de réveiller les rêves des hommes en repos. Je me lève - je me rends compte que j'ai dormi du côté des hommes -, près du guide. Les femmes ont déserté. A l??uvre. L'aïeule lave les derniers songes en fouettant le lait pour le fromage. Je pars dans la montagne - je me retrouve seule. Je pense un instant aux montagnes kurdes autour d'Adiyaman. Ces terres sauvages, il y a bien longtemps. Comme dans la légende. Le soleil se lève au-dessus de la barrière de nuages, il me laisse croire aux moments d'éternelle poésie. Impression sentimentale ? Impression numérique. Fin. Je redescends rejoindre Massoud et les enfants qui se font beau pour ce vendredi.

Plus tard, plus loin, dans un village nomade, un mariage se prépare. La moto tangue dans la poussière de midi. J'oublie de protéger mon appareil. J'oublie les kilomètres de solitude. Nous traversons des palais absents. Je suis happée dans le village par les femmes en robes traditionnelles qui m'habillent avec empressement. Les hommes négocient à l'intérieur. Heureusement mon guide leur explique, l'occident, les voyages, les femmes ? un peu, avec sa vision. Je suis captivée un instant par leur respect quand ils me regardent. Immense. Et toute cette attention aux paroles d'Iraj. Etrange impression qui me fait croire qu'ils me comprennent. Les foulards multicolores multiplient dehors les pas en ronde. Musique insondable. Ritournelle ancestrale. La mariée, cloîtrée chez elle, attend quinze heures pour rejoindre son promis. Je la rejoins pour la voir. Les enfants m'entourent, piaillent : « Mister ! ». Ils ont oublié leur première leçon d'anglais. La mariée se maquille, pour moi, pour la photo. Juste pour la photo. Deux heures de préparation minutieuse dans un silence total. Son amie prend soin d'elle. J'ai perdu toutes mes photos de cette journée. Sauf cette photo où je suis avec la mariée. Impression de tragédie?

Au retour, alors que nos regards s'accrochent dans le rétroviseur, je souris. Les paysages défilent. Je regarde à travers mes lunettes noires le paysage d'ombres. Le soir commence à tomber. Le chauffeur me demande pourquoi cette impression de tristesse. Je lui réponds que je suis triste parce que je quitte des amis et que je suis heureuse parce que je sais que je les retrouverai.

Aux portes du désert, dans cette course dans les ruelles étroites de Yadz, une femme m'arrête. Elle me fait entrer dans l'Hosseineh. Un patriarche en deuil de l'imam m'accueille et m'invite pour les cérémonies du soir. Il me présente avec fierté ses filles et les splendeurs de son jardin. Les grenades se détachent sur les draps tendus de noir. Sous le tchador je traverse les lamentations et les pleurs de ces hommes et ces femmes qui prient. On apporte de l'eau, une femme est au bord de la crise d'épilepsie. Je retiens ce noir latent et ce rouge sous-jacent. Tant de couleurs qui se révèlent en privé, avec toute leur violence intérieure comme un sacrifice suprême.

« Le cycle de notre vie et de notre mort
n'a ni commencement, ni fin, à vue humaine.
Aucun de nous sait quel bon vent nous amène
ici-bas et plus tard nous ramène ? à quel port ? » Omar Khayyâm

Sous les acacias une danse voluptueuse illumine le dedans des pages qui attendent d'être composées.