... Touarance ... et ces 7 pages de mai Commencer toujours |
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Nue, Mai 2006
Fleuve, Mai 2006

Touarance_Infini désir

La septième page serait un prolongement des mots secrets, un flottement des couleurs dorées et un basculement des formes dévoilées dans l’errance des frissons. Aucun arrêt avant la mort, seulement un léger mouvement, des feuillets presque imperceptibles, des corps en suspens dans un tempo atemporel, une mélodie au thème infini.

Fallait-il l’écrire, fallait-il la lire ?

Déjà l’écriture reprenait, le papier et le clavier bruissaient, les mots, les mêmes mots revenaient sans cesse, tout d’abord silencieux puis plein de force et tellement de profondeurs. Elle savait que l’énigme resterait intacte, fragile et mystérieuse, puissante et pénétrante. Peut-être dans les ténèbres d’une bibliothèque où elle se serait cachée dans les pages d’un livre. Pourtant, au risque de la perdre, elle avait vérifié encore une fois, elle avait réouvert le livre, écrit quelques mots encore dans les marges. En le refermant, une odeur puérile et féerique s’échappa. Elle avait communié un instant avec l’épaisseur des feuilles-souvenirs, et baigné son sang dans les blessures des personnages inventés, se faisant « frère et sœur ».

Elle traversa le jardin. Le paradis avait pour origine le mot persan « paradaeza » qui veut dire « jardin ». Elle s’arrêta devant toutes ces herbes et prit en photo les bulles de sang dans le vert des paradis perdus. L’orage saturait les parfums. L’ivresse était tout proche. Halte dans la maison de vignes. Elle pouvait voir le temps à l’infini dans cette vallée au sommet dérobé. Quel est le vin qui conviendrait en pareil moment, juste avant la pluie, peu de temps avant son départ ? Un liquide chaud et épicé, assez costaud pour l’envelopper, la serrer tout contre elle. Pour fermer les yeux, et se reposer.

Plus loin sur la plage, le fleuve rejoignait la mer. Lentement. Les bleus-gris défilaient aux creux des ondes de la Touarance, elle rejoindrait l’ocre-bleu de la Perse, au-delà de la Perse. Un papillon frôla son objectif, aura-t-il laissé une trace sur la pellicule. Soupir d’ailes. Ultime voile en avant de la nuit.

Combien de nuits le destin leur avait-il accordées ? Le matin s’annonçait. Dieu les avait fait amoureux comme il avait fait certaines fleurs vénéneuses, certaines lumières surexposées et sous-exposées et avait imaginé des larmes pour rendre les yeux des femmes attirants. Il rit comme un tonnerre et des larmes coulèrent de ses yeux. Il avait deux visages et la réalité était douce et effrayante.

L’attente était trop longue. Il lui demanda de ne pas s’épuiser et surtout de n’en parler à personne. Il choisit de semer le doute et la peur autour de lui pour se ménager un bref espace de quiétude. Le feu avait commencé à se propager, à les envelopper. L’essence les enivrait en même temps et les larmes n’apaisaient aucune caresse. Le feu vacilla, la lumière fuit. Elle voulait être déjà loin. Dans ses bras. Ce soir-là, le vent d’Ispahan portait un vert parfum. Elle traversait le fleuve seule et ses pieds étaient aussi légers que les mains ivres des amants qui se reconnaissent. Demain, c’était maintenant.

Lève-toi, nous avons toute l’éternité pour dormir.

Peu après, sur le chemin, il songeait au passage de l’aile du papillon. Qu’en était-il dans la réalité ? A chaque étape, on croit voir quelque chose, comprendre mieux, découvrir pour la première fois un visage, un paysage encore endormi sous les brumes tissées par la nuit par dame-araignée. Il suffit de regarder, le désir de croire et d’aimer, remplissait les silences de paix.

Elle croyait qu’elle pouvait disposer encore comme elle le souhaitait des saisons, de l’hiver et de l’été, de novembre et de mai. De l’Orient, « esclave de l’ombre et de la grandeur ». Et...

Soudain, le Ciel te dérobe même l’instant qu’il faut pour humecter les lèvres.

Mais cet instant existe et persiste. Alors il faut poursuivre ses lignes et ses écritures multiples. Une rame de métro plus loin. Il la rejoignit. Partir, partir, écrire, écrire, dirait-il avec lassitude, ne peux-tu te contenter d’être heureuse ? Elle n’avait jamais su s’occuper d’autre choses que de l’essentiel : lire et voyager, aimer et croire, douter et se battre. Résister. Il fallait encore garder du temps. Le préserver jusqu’au terminus. Tant de choses pouvaient survenir d’ici l’arrêt du train.

Elle décrocha les toiles et les replaça dans un ordre différent. Dans l’atelier, elle prit un peu de terre, forma une boule et la creusa avec la paume de sa main. Le personnage qu’elle lissait en transparence apparaissait peu à peu à travers les pigments bleus. Elle déposa une pierre de lapis-lazuli sur son front et traça de nouvelles lignes pour les sourcils. La saveur de la terre montait de sa main dans sa bouche comme un frisson qui traverse le dos pour se mourir dans le creux de la nuque. Elle avait attendu que le goût se dissipa, elle avait aimé la chaleur du bonheur. Sur sa langue flottait la douceur d’être aimée. De ses deux mains, elle pris la coupe à ses lèvres et finit le nectar jusqu’à la dernière goutte.

La septième nuit elle s’en souvenait. Comme de la pierre qu’elle gardait longtemps dans la main, cette pierre qui lui permettait de passer à travers les murs et les ombrages pour jouir encore plus, de tout. Comme le parfum de cette rose qu’elle poursuivait à travers les âges, une marque de son passage, une couleur en qui elle mettait tous ses espoirs.

Post-scriptum : Après tout finir ou commencer, c’est la même chose. Un engagement, un risque, une perte, une joie, un bonheur, la paix un instant retrouvée, un passage vers autre chose. C’est de cela qu’il s’agit, oui. On n’est jamais prêt, alors ne perd pas une minute. Oui, vivre pour cela.


mercredi 10 mai 2006
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