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Loire en train
Train en Normandie

Le goût de la cerise

Il s’agenouilla devant son corps. Le sol était humide. L’église du monastère n’avait plus de toit. Il restait un Caravage caché sous une trappe près de l’orgue. Elle ne dormait plus. Elle était partie pour un long voyage. Son personnage s’était évanoui dans les plaines et les pierres salées de la Perse. Elle avait gardé une pierre de lune à son doigt et à ses oreilles pendaient des pierres aux yeux pers. Elle souriait dans son silence. Ses lèvres étaient carmin, comme si le désir des cerises brûlait encore la surface de son corps maintenant froid. Chose étrange, avait-elle écrit, que lorsque l’on est seul, on se sente ainsi attirée par les choses, les objets inanimés, les arbres, les ruisseaux, les fleurs. Il semble qu’ils vous expriment, qu’ils deviennent vous-même, qu’ils vous connaissent, et en un certain sens, sont vous-même.

Le thé était brûlant. Elle leva les yeux. Ils se rencontrèrent à travers la chaleur légèrement poivrée sous le regard de la fatalité. Une immense tendresse fusait dans le brun de ses yeux, comme une terre au soleil. Du fleuve gris-bleu montaient en volutes une vapeur, une fiancée allant à la rencontre de l’aimé.

Il prit le premier métro à Saint-Lazare. Il ne savait d’où venait cette impression de solitude que l’on goûte à travailler si tôt. Dans la lumière acide de ce petit matin, il avait cette fierté confuse d’avoir travaillé une partie de la nuit, une façon de brûler toute sa vie par les deux bouts. Une façon aussi de tenir emprisonnée son âme tourmentée. L’oiseau était retenu captif.

Elle aurait aimé faire tous ses papiers avant de partir. Mais elle n’aurait pas le temps. Ce n’était par peur de ne pas revenir, mais ça ne l’intéressait pas. Des choses qu’elle verrait plus tard, le moment venu. Il y avait quand même un certain ordre : chaque lettre, chaque carte postale étaient soigneusement rangées dans une boite à biscuits avec un nom dessus. Elle se plaisait à imaginer quelque parent qui irait jeter tout cela à la mer. Des papiers, des photos, rien d’autres.

« Maintenant, c’est fait. Tu es mort. De mes mains. Je ne peux plus rien changer et je ne regrette rien ». Il descendit de son cheval et la releva. Elle s’était blessée dans son rêve. Il ramassa le livre qui était tombé pendant son sommeil. « La rime ment, hélas ! qui veut qu’elle passe comme un rêve ». La vie est pire. Il répondit à son appel et passa sur l’autre rive.

Il n’y avait pas de métro ce matin. Grève des contrôleurs. Elle décida de rejoindre Saint-Paul à pieds. Le vent était glacial et les nuages bas. Elle marchait sans penser à rien et c’était bien agréable. Des pavés arrondis, des ponts en lune, des péniches fraîchement repeintes, des escaliers qui montent, des bites et des cordes enchevêtrées, une odeur de tabac et des amoureux qui s’embrassent. La marche solitaire de Bob Dylan accompagnait le balancement de ses bras. La figure de la jeune fille de Boubat, fière et finement transparente, lui paraissait aujourd’hui sur ce quai éternelle. Ses chaussettes caressaient la plante de ses pieds. Elle sentait un désir plein la remplir, comme un cercle dans le ciel éclairci. L’aile bleue de l’oiseau fugitif soudain vibra près d’elle et s’élança comme une flèche sur l’autre rive. Ses bras tournoyaient et sa main s’envola eu milieu de ses cuisses. Il s’aggrippa à ses fesses charnues en la serrant dans ses bras.

Sa maison s’ouvrait sur le désert. Dans la palmeraie poussaient des dattiers, des grenadiers et des cerisiers. Elle alla cueillir une cerise qu’elle la porta à ses lèvres. Elle pensa aux boucles d’oreilles de son enfance. Le silence était total. Elle oubliait de faire des photos.

La sixième nuit était tendre et secrète. Il lui avait offert une mangue pour son thé. Elle avait laissé deux mots avant de partir.


vendredi 28 avril 2006
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