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Pont de pouilly le matin
Loire à 17 h

Passage de la Loire

elle avait passé le pont à Pouilly, un pont de fer étroit qui laissait paraître les glaçons de la Loire

sur le chemin de halage, le silence de la terre l’avait surprise
elle s’imaginait seule
cet oiseau bleu (ce n’était pas un martin-pêcheur) l’accompagnait un instant
ce jour-là elle sentit son ventre aimer
aimer comme d’autres font des prières
la lumière l’avait émue
elle choisissait les images à travers la neige

elle se sentait nulle part ; personne ne savait où elle était et on ne pouvait plus la joindre ; elle s’en rejouissait
d’ailleurs, car au moment du délire, elle n’avait personne à prévenir et personne ne pouvait le lui dire ; les bavardages au téléphone l’irritaient ...

le soir était encore plus beau, j’aime cette heure d’hiver avant le tombé du jour (voile)

la nuit, ses rêves seraient trop sombres, elle les laissait partir

cette nuit à Paris, l’ophtalmo l’attendait mais elle ne connaissait pas le code d’entrée ; elle ne lisait jamais jusqu’au bout les lettres ...

et le jour revenait, elle n’en revenait pas de recommencer toujours, les jours et les saisons, printemps, été, automne, hiver et après ? est-ce que c’était toujours le même face à face ? les mêmes paysages ? que cherchait-elle ?

trouver des repères ! un pont, une église, un fleuve, est-ce que cela suffirait ? un appareil photo, un chat ... ah non pas le chat ! (elle était fachée avec son chat), des billets de voyages imaginaires, des figures d’anges et de Bacon plein les rêves ...et tout ce que je ne peux prévoir, imaginer et qui viendra me surprendre, se dit-elle...


F., mercredi 4 janvier 2006
Messages
  • Passage de la Loire, pour Nicolas
    8 janvier 2006, par max

    Wheeler lui avait lu ce texte. Il avait rit. Wheeler lui, avait demandé pourquoi. Parce que je crois que je pourrais l’aimer, cette Ann photographe dont tu parles sans cesse ! Et puis ces autoportraits si parcimonieusement et si délicatement montrés, furtivement, pour des vols de regards.

    Et puis en riant de plus belle :"s’il m’arrive quelque chose j’aimerais me mélanger aux eaux du bosphore, ou bien sur les bords de loire, près de l’atlantique. Mais nulle part ailleurs. Où bien chez toi en méditerranée ! Mais en dernière extrémité.

    Alors voilà le texte que Wheeler lui avait lu, comme fragment qui se déplie chaque jour davantage. Pour ce fleuve qui venait après le Bosphore.

    Wheeller savait qu’il devait garder vite ces traces. Les émotions en garder quelques tracés impulsifs et confus et troubles et beaux. Il faut, ne cessait-il de répéter du haut de son cheval essayer d’ordonner la formidable violence d’une rencontre. « C’est toujours un repérage où des antennes se hasardent. Essais, erreurs ».

    Mots de fatigue délicieuse après une nuit-jour. Pour une photo qui est exfoliation de l’être processus que Ann est et rêve certainement d’être toujours davantage, vibrant de toujours plus de fréquences sensualismes divins et charnels, être processus comme fourmillement de tous les êtres et animaux et saveurs qui pourraient convenir avec elle, feux couvant dans ses seins...

    Son rêve d’être processus pur mis à nu pour elle même d’abord, processus labyrinthe à elle peu à peu révélé à travers certains autres.. Flux de toutes les langues secrètes et silencieuses qui pourraient convenir avec elle... Anneaux d’un serpent changeant et polymorphe... Oui ses yeux là, quand ce n’est pas son corps, font accoucher d’une optique flamboyante et bleue qui ne regarde pas mais embrase et crée...

    Ce sont aussi des rêves proches, pour Wheeler. Comme un éclat spéculatif et violent qui viendrait, au-delà des yeux, de loin. Ca n’a rien à voir avec le voir, ses yeux, c’est une fabulation qui s’avance et capture et se fascine de sa propre étrangeté, de sa propre inconscience, de sa propre folie assumée en aveugle. Il est si près, si près de ça ce « dead man ». Il frissonne de l’écrire... indices et traces de sa propre folie.

    Cela n’a rien à voir avec un regard, ses yeux, c’est une projection vertigineuse de ses plus belles intensités lorsqu’Ann veut envahir les limites du monde et être traversée et récréée par lui, lorsqu’elle tente de plier, étonnée et jouissante, ces ex-istences, ces désirs tellement irréduits et primitifs, en désordre qui la constituent... et qu’elle courbe sans cesse à nouveau vers elle, alors même qu’elle les laisse se projeter à l’infini évanescent d’un miroir qu’elle désirerait peut être porte, trouée d’un cosmos imperceptible, ligne funambule vers le non-conscient si puissant qu’elle engendre, qu’il enveloppe, qui l’a fait désirante sublime, si peu adaptée et pourtant tellement immergés dans la folie flamboyante de certains êtres... de la vie comme exubérance qui parfois, pourtant lui fait peur et frissonner à la fois délicieusement...

    Wheeler, aime certaines de ces photos très fort. Il les garde au fond de sa sacoche. Contre les flancs humides de son cheval. Ce sont tellement peu des auto-portaits. Ce sont des redoublements vertigineux de la fabulation créatrice et vitale qu’Ann met en mouvement vers la jouissance, sans cesse mise en péril, des va et vients entre ses dedans et ses dehors ;

    Vers la jouissance de cet entre-deux, qu’est son monde solaire et solitaire, « quand » elle préhenderait le monde et lorsque celui ci s’offrirait à elle avec ses connexions les plus belles, de manière libre et sauvage... sans contrepartie... éphémères et pourtant infinies liaisons dont elle se nourrirait, animal créateur de son propre univers, plissement d’un dehors venant d’un dedans insondable et mystérieux...déjà là, ce soi d’elle qui la fait jouir d’aller vers plus haut et plus fort que la jouissance même... en passant par un amour absolu...

    Ce sont tellement peu des auto-portaits, c’est comme une expérience de sa propre mise en jeu qu’elle offre. C’est l’acte même d ?exister vers sa propre énigme, irreprésentable, seulement expérimentale, sensualité divine de l’instant où ses mondes vont exploser libres et bruts... ce sont tellement peu des auto-portraits... ce sont ses yeux comme invention... et création sisyphes des intensités des plus hauts plateaux... qu’on ne peut représenter mais seulement vivre... et éprouver.

    Ses yeux, qu’elle capture et qui lui échappent à l’instant même de ce redoublement... Wheeler les aime et les sens comme beauté sans référent, sans sol, sans socle, manifestation, épiphanie d’une présentation pure encore de ton irréductible et fragile liberté. Violence fondatrice des jaillissements et des saillances qu’elle ne contrôle pas mais chevauche dans un vide superbe...

    C’est pareil lorsqu’elle fait vivre son corps, son sexe dans ce dispositif d’images... pas de représentation d’elle-même mais la présentation comme fabulation créatrice encore des énergies charnelles et des sexualités à l’infini de leur inventions, à l’infini de leur devenir comme répétition des désirs sans cesse rehaussés sous les protocoles savants de rétentions sublimées, sublimantes à partir de son imagination concrète, de sa propre fascination pour l’exploration pleine de jouissances, d’un virtuel qu’elle veux pour elle réserve immense... Voyage du monde vers elle. Voyage dans les connexions qui convergent vers elle. Voyage nomade et instable de l’amour vers elle.

    Wheeler, perdu dans son désert, aime cette beauté qui s’engage, cette vie aux absolus sans noms qui vient dans ces images qu’Ann fabrique comme des fragments de son propre processus. Ce sont ses flux de vie qu’il a là entre ses cuisses et l’animal. Ce ne sont pas des auto-portraits, non... C’est comme si l’autre qui est en elle créait l’exhibition de sa propre création en ces instants précis où elle vit le désir de soi dans la quête du désir d’un dehors à venir... toujours et toujours à venir.

    Wheeler vois, chaque fois un peu plus, l’ensemble des énergies que créent ses populations de photos, ses bandes et ses meutes de photos...à venir. Il y a aussi des chasseurs solitaires et puis ses répétitions, ses grandes répétitions, ses bégaiements, ses hésitations, ses envies d’aller vers d’autres dehors... Wheeler sent cela très fort, ce peuple de photos... Il voit et sens ça comme autant de personnages, d’êtres, de micro-univers, qui sont comme des mutiplicités vivantes des affects de cette femme, sur les flancs tièdes de l’animal.

    Ces affects elle les engendre, elle les produit comme lui, pour aller pour aller au large...

    Wheeler commuta brutalement.

    Le soleil était de plus en plus chaud et Ann avait porté son désir très haut. L’ensemble correspondait aux vibrations lourdes et longues qui courraient à la surface du sol. Homme-cheval, Winchester, sacoches lourdes et tout un attirail invraisemblable. Des livres aussi. John Wheeler arrêta net sa monture. Silences qui arrivent. Évaluations. C’est d’abord une étrange rencontre avec un autre corps et un visage sans terre. Rencontre d’un corps, en ces lieux, où seuls, les géodésiques millénaires des plissements des roches et des dunes et des lits asséchés de rivières spectrales, sont cartes à même la peau de la terre, d’un corps donc qui porte le souffle de William Blake. « RûHa » qui d’emblée par les détours ironiques et puissants de son écriture fait surgir un fragment d’un cosmos invisible, parmi tous les cosmos à l’infini...

    Alors la voix, peut-être dans un murmure illimité répète, au seuil d’une douce et infernale intonation, « voir un monde dans un grain de sable et un ciel dans une fleur sauvage, tenir l’infini dans la paume de ma main et l’éternité dans une heure ». Éclats d’un rire en perdition.

    La main au bout d’un bras épais et presque difforme, tend une flasque en acier primitif. Du goulot s’échappe moqueuse et arrogante une odeur d’éthernité. Vapeurs qui ont connu les chaos, les vertiges impurs et les biologies aux limites, d’alambics ensablés depuis des décennies de chimères, dans les marges de rivières sans pépites. L’homme qui a rencontré le corps prend la flasque et la porte à sa bouche. Il avale une longue gorgée et met son corps au ralenti. Les yeux se plissent légèrement et les rides aux alentours vastes, deviennent graphies pour l’autre. Aussitôt déchiffrées.

    La main gauche vient alors caresser la crosse d’un colt. Et contre la cuisse, la Winchester, pense une trajectoire rouge et bleu, qui pourrait déchirer, les textures. Le cheval frémit et se cabre un peu, devant la fuite d’un crotale affaibli par le spectacle pour lui tératologique. Et le corps de rire, encore. Les lignes se croisent au ralenti, se frôlent, s’éloignent, se perdent.

    Puis une autre rencontre. Mauvaise ? Une rencontre qui va ouvrir une faille, un passage enfin, un tunnel dans le corps.

    C’est ensuite le lent processus de déshumanisation et d ?oubli pour aller à la traversée et à la croisée d’autres hommes et femmes et enfants posés simplement contre, tout contre la texture de totems face à la puissance désarmante d’un fleuve et de la terre qui le recueille et l’accueille et ne le contient pas.

    C’est, toujours par le corps, son corps à lui, lui John Wheeler, traversé par une petite sphère de plomb et souffrant de cet ajout d’une meurtrière dans son organisme, que va se mettre en mouvement, le lent voyage vers les confins de nouveaux limbes aux turbulences faibles et douces. Que va pendre corps et s’inventer un cheminement sublime d’une recomposition post-biologique... lent glissement d’une intensité extrême, redoublé du plus lent encore, glissement d’un canoë sur la surface étale d’un lac, lisse, de mercure habité. Devenir spectre, au terme d’une initiation sans nom, sans but.

    C’est le cheminement d’un être qui enrichi et souffrant, supplicié silencieux et expérimental de sa « meurtrière », entrevoit et va « éprouver » sous des conditions de plus en plus barbares, aux limites de la perception, quand les lumières se mélangent pour devenir nappes laiteuses aux densités faibles, au milieu des turbulences des brumes les plus blanches, des énergies et des lignes de forces immanentes dont il est l’expression et l ?exprimé. L’expression et l’exprimé, comme deux fluides au « contact nitroglycérine. »

    Et l’autre homme l’accompagne. Il accompagne John Wheeler.

    Loin, loin, le plus longtemps possible, il « vit » son entrée dans l’antre des peuples du fleuve et des morts-vivants qui sont passés au filtre de chamaniques et dérisoires manipulations. À la recherche de champs morphiques rares, et presque à coup sûr, hors de leur portée... Alors il trouve un autre passage tout en fixant longtemps la lente dérive de cet homme à présent peuplé des futurs les plus archaïques, des temps les plus intensifs. Absolument intensifs et pourtant sans cesse évanescents. Alors toujours le même flash.

    Wheeler le laisse passer. Il cherche au fond de sa sacoche les créations d’Ann. Bleus sublimes de ses désirs. Il s’adosse contre l’écorcé rugueuse d’un arbre providentiel. Et lentement reprend sa narration.

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