... Touarance ... et ces 7 pages de mai Commencer toujours |
S >>> ????
San Gimignano, Toscane, mai 2004
Touraine, avril 2006

Senteurs de fin d’enfance

Elle retrouvait dans ce petit vin blanc, un chenin, le goût de sa terre rabelaisienne, ce parfum complexe et fleuri des bords de Loire quand le printemps chemine lentement. Le poissonnier, malgré les yeux doux qu’elle lui avait fait et son bonjour poli, avait vendu les derniers anchois devant ses yeux à une commère portugaise. Le marchand d’huîtres était encore en vacances ; il ne restait plus que des huîtres d’Isigny à un prix fou, plus loin en haut de l’allée.

Elle se jeta au pied du chêne et ouvrit le livre. L’odeur de vieux papier chatouilla ses narines. Elle se détendit, ses pieds avaient longuement marché et ses yeux n’en pouvaient plus de voir. Dans le livre, une vieille carte postale de la carte du tendre de Madeleine de Scudérie. Au dos une signature bleue. Elle avait trouvé ce livre chez un bouquiniste de la rue de Belleville. Il ne voulait pas lui vendre, sous prétexte qu’il ne vendait plus rien. Elle lui avait volé, comme un baiser. En sortant, elle se réjouissait secrètement. Au moins, elle n’aurait pas à affronter le photographe plus loin, il avait fermé boutique. Elle ne le reverrait plus traînant sa vieille jambe dans les rues de Ménilmontant. Ses dernières lettres étaient toutes tâchées de sang et imprégnées de senteurs violentes de camphre et d’épices. Cela faisait déjà 18 ans. Maintenant elle allait en avoir le double.

Elle n’arrivait pas à lire les mots de ce livre. Des écritures magiques où elle pouvait y broder des images avec toutes ces lignes entrelacées et frappées.

Prends, mon cœur, le cours des choses
pour conforme à ton vouloir
Et pour constellés de roses
les parterres de ta joie :
Rien d’autre parmi ces fleurs
toi-même qu’une rosée
Pendant une nuit posée
que vaporise l’aurore !

La rose qu’il lui offrit était pleine de son parfum musqué. Un pied qu’un vieil homme lui avait laissé avant de partir à la guerre, avait-il raconté. Le cadrage de la photo était presque carré. A sa droite un bouton sombre pointait avec arrogance et frôlait délicatement, comme une lame près du cœur tente dans un dernier élan d’éprouver la vie, les pétales encore fraîches de cette rose. Une femme au loin fit un pas de danse. Ce n’était pas encore le moment.

La confrontation sentait l’odeur de l’acier frotté sur le silex. La lumière était dure, la tension forte. Il s’engouffra dans les ruines d’un ancien palais où une jeune fille, toute vêtue de blanc, lui offrit du thé. Le désert de la vallée de la Bekaa s’étendait devant lui. Il vérifia son arme sur le côté gauche et préféra s’éloigner dans la brume du matin. Le cuir de sa dague transpirait une odeur de fauve. Il partait pour fabriquer cette couleur, une alchimie qu’il nommait Schwarchild, dans les héccéités fabuleuses de son désert.

Elle massa ses pieds fatigués. Elle ne se remettait pas de toutes ses photographies qu’elle avait vues. Ces champs de blé qui brillaient d’or et de vert et ces chênes qui allaient faire de ce pays la fierté de ses habitants. Elle avait croisé l’autre jour le chatelain qui vivait ici reclus. Il la reconnut et fit un signe de la tête. Depuis la mort de sa femme, il peignait de petites toiles carrées. Il partait tôt le matin et revenait avant midi. Il ne ressortait plus. Parfois, on ne le voyait pas de quatre mois. Nul ne savait s’il était parti ou s’il s’était enfermé. Une fois, elle s’était approchée de lui sur le chemin et avait senti le frisson des flammes qui brûlent les moines qui ont fuit à midi.

Un instant elle se rappela les oliviers centenaires aux pieds des vignes de Toscane. Sa lumière veloutée avait caressé son ventre. Mais, elle n’avait pas eu le temps de découvrir cette terre. Il en restait quelques photos d’un autre siècle. Elle avait imaginé à son retour s’enduire d’un fruit exotique pour retrouver cette étrangeté. Le printemps de cette rencontre s’était inscrit pour longtemps dans son calendrier personnel. Les bulles flottaient en souvenir dans la libre pensée de son corps.

Les cerisiers étaient en fleur. Ils appartenaient à son enfance. C’était sans doute à cause de ce photographe de famille, qui croyant bien faire dans les années 70, pour cette photo de ce bébé de mai, avait ajouté une image de cerisiers en fleurs. A présent, c’étaient aux lignes tortueuses des cerisiers de la peinture de Van Gogh et les fleurs d’un blanc immaculé dans le ciel bleu qu’elle pensait. « Cette enfant est étrange », avait-il dit à ma mère. Personne n’avait remarqué l’ombre de l’ange qui veillait.

Les portes se sont refermées juste derrière lui. Il avait du baisser la tête pour entrer dans le métro. Il mesurait bien dans les deux mètres. Tout en lui évoquait le charme mystérieux des princes nordiques. Il regardait droit devant lui comme s’il fixait quelqu’un dans la rame sur l’autre quai. Ses lèvres cependant faisaient penser à quelques imaginations malicieuses. Il était apparu irréprochablement net dans l’encadrement des portes et derrière lui maintenant se combinaient, avec la vitesse du wagon, les couleurs et les lignes floues du dehors. Mais, ce n’était pas possible, elle n’avait pas suivi son mouvement, son appareil était toujours dans son sac. Elle aurait aimé pourtant faire cette photo. Un défi à toutes les lois des sentiments. Il était vêtu de blanc immaculé des chaussures au couvre-chef. Quand retentit la sonnerie de la station suivante, il avait disparu tel un garnement. C’était à l’autre bout de la ligne, près de la gare d’Austerlitz. Ils avaient traversé le fleuve et il lui manquait un bouton.

Avant qu’il ne vienne lui rendre visite ce premier soir, elle réussit à déchiffrer un mot tout étrange sur cette page brûlée de transparence.


dimanche 23 avril 2006
S >>>

... Touarance :::: Zenon --- 7 pages - Papiers de mai -- Attirance - Fil et papiers --- Contact ...