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Candes Saint-Martin
Cabane dans les vignes

Chemin d’errance et distances

Il y a toujours cette impression d’étrangeté qui lui collait à la peau.. Elle avait bien conscience pourtant qu’elle n’était qu’une chose parmi les choses. Le soleil apparaissait entre les nuages du mois d’avril. Allongée sur cette plage de Loire, elle se laissait réchauffer par son doux contact. Elle n’aurait pu dire pourquoi le contact de sa peau avec l’obscurité l’émouvait comme autrefois l’amour.

Ou la photographie. Ce toucher tout en distance avec les choses la rassurait. Et l’œil contrebalançait l’abîme et dans sa puissance, provoquait le chavirement des sens. Ses mains brûlantes longeaient les coteaux de ses doigts de pieds, sa langue descendait dans la vallée de son orteil, elle ressentait sa caresse quand elle marchait le long du fleuve. Elle gardait un coin d’ombre pour développer ses rêves, inventer un pays où personne ne viendrait la réveiller, voler les images de son corps en transparence.

Elle avait l’impression d’être sur une île, à ce point de confluent de la Loire et de la Vienne. En face d’elle, le clocher de l’église de Saint-Martin de Candes à l’ombre du soleil de cette fin de journée. Chaque grain de sable renfermait tout un album de sens. De son enfance, elle voulut refaçonner sa divine solitude. Une amie l’avait abandonnée, un prêtre de temps en temps plaisantait. Près de chez Rabelais, elle aurait aimé lui demander comment apprendre plus vite les sciences de l’homme et de l’univers. Pendant de longues années, une chose l’a retenue ailleurs.

Elle posait en compagnie des chérubins rouges et bleus. Le peintre lui demanda de dénouer son corsage. Le sein riait sur le tissu bleu roi. Il posa son pinceau et réfléchit à la lumière blanche qu’il dégageait. Il connaissait son parfum, mélange de rose et de jasmin. Il retenait son doute au bord de ces lignes belles et douces qu’il dessina d’un trait assuré. Avec empressement, il lâcha prise sur ces formes arrondies et de son crayon noir fit vibrer les lignes noires des grands pins qui s’étendaient derrière eux. Elle lui demanda de ne jamais la laisser parler seule. Pour cela elle écrivait.

Le soir, elle partit sur le plateau planté de vignes avec son appareil photo. Elle resta un long moment devant cette cabane de pierre délabrée. Il semblait qu’elle priait dans les dernières lueurs de la terre. Elle marcha jusqu’à une heure avancée, surprenant parfois les oiseaux de nuit. Elle cru voir passer un merle bleu qui se réfugia dans les ruines d’un mur de clôture. Elle s’assit à ses pieds, entre les racines de ce vieux chêne qu’elle aimait tant. Elle sentait le besoin de quelque chose où amarrer son désir. Il lui plut de voir les chevaux de feu traverser la plaine. Le désert était rouge à présent. Elle tenait son appareil sur son ventre. Les feuilles brouissaient. Elles s’ouvrirent à ses charmes. Sa robe écarlate n’avait pas d’ailes. La lumière mourante poussait l’ombre devant au long du sentier.

A cette page, elle lisait :

Cet pot de terre jadis
fut un amant passionné
Dont le cœur était captif
des boucles d’une beauté,
Et cette anse qu’aujourd’hui
tu vois à son col, c’était
La main dont il caressait
le cou de sa bien aimée.

La sonnerie avait retenti. Il se trouvait entre la marche du quai et le wagon qui allait fermer ses portes. Il portait sur son épaule un tapis qu’il déroula lorsque le métro repartit. Il s’agenouilla devant elle et lui baisa les pieds. Elle posa ses mains sur sa veste blanche et lui dit quelque chose que personne n’entendit, ni lui, ni elle. Il était impossible de résister à l’extraordinaire impulsion de s’en aller. Elle partit. De tous les côtés, elle était à la recherche d’un bien absolu. Elle savait qu’elle aimerait les mains de cet homme. Derrière son visage enfantin, les lignes sombres de ses yeux plissés découvraient un pays qu’elle voulu connaître.

Elle photographia une dernière fois, avant de quitter la ferme, l’immense glycine de sa grand-mère. Elle ne goûterait plus à ses biscuits ramollis qu’elle lui offrait quand elle était sage. Dans la voiture, Christophe chantait les mots bleus et son père retenait ses larmes. C’était la première fois depuis longtemps qu’elle serrait son père dans ses bras. Ecrire de la poésie n’était-ce pas une transaction secrète, une voix répondant à une autre voix. Comme la respiration de deux corps qui se retrouvent l’espace d’un instant et s’éprouvent à force de métamorphose.

Les fils étaient fragiles et tenus. Pourtant ils permettaient de s’éloigner peu à peu de ce foyer de peur. Elle avait tant de rêves, elle avait marché depuis tant de temps. Elle avait imaginé ce pays grand, majestueux et mystérieux. Elle se préparait maintenant à partir. Bientôt elle le rejoindrait au bord de ses rives orientales où les persiennes laissent passer le désir derrière les voiles à peine closes.

La deuxième nuit était mauve. Il avait laissé sur le lit en partant une vieille photo de lui, en noir et blanc et quand elle s’était réveillée on entendait dans une chambre éloignée les lamentations d’un Llanto.


lundi 24 avril 2006
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