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Fleur d’Ispahan
Marie par Pierre Louÿs (1898)

Cruauté et textures secrètes

Son chemin passait par la Perse mythique. Un homme du seul fait qu’il est né tombe dans un rêve comme on tombe à la mer. S’abandonner à l’élément destructeur tout en battant des pieds et des mains pour maintenir le rythme. Elle se demandait toujours comment vivre et personne ne lui répondait. Il lui sembla qu’une lumière mystérieuse lui permit de voir ses yeux à travers cette photographie ancienne. Comme si en cet instant le jeune garçon qui était en lui, l’espace d’un moment, avait fait une lumineuse apparition, puis avait disparu. « Il y a l’habitude, la nécessité, voyez-vous et le regard des autres.... ». « Il faut vivre avec cette réalité », reprit-il placide.

Elle rejeta de toute son âme ses belles vérités qui l’irritaient. Elle songeait que chaque créature humaine entrait sans le savoir dans les rêves amoureux de ceux qui la croisent. Il n’y avait ni raison, ni ordre, ni justice. Aucun rêve ne durait, elle le savait.

Elle regardait le printemps s’installer, dans la brillante nudité d’une vierge chaste et farouche, pure et méprisante, dans le champ d’herbes folles devant elle, au pied du chêne où elle demeurait attentive et entièrement indifférente aux lignes vertes qui la traversaient. Le personnage de son livre finalement n’avait pas pu tuer cette femme. Il y avait les vivants venant des morts, les morts venant des vivants et il y a ceux que l’on voyaient sur les photos. Elle était désormais libre et nomade à jamais.

Dans le cristal bleu, il voyait un temps non-chronologique, une pulsation souveraine, une zone ouverte sans visage. Il traversa de nouveau le paysage désertique et omit de lui faire signe. Il était trop préoccupé par ces êtres irréduits qui font saillance dans un lieu étrange du monde. Cependant il n’oublia pas le blockhaus en ruine qu’elle lui avait laissé en héritage de son passé de photographe. Il avait toujours su qu’elle choisirait la cruauté plutôt que l’infini supplice. Elle ne faisait que commencer son combat. Ses paupières clignotaient de fatigue. Les ondes roulaient à l’infini comme des dés.

Il avait brûlé toutes ses photographies noir et blanc et les autres. Quelques années plus tard, elle en retrouva une au fond d’une boîte en carton dans une malle. Cette photographie n’aurait jamais dû parvenir jusqu’à elle. Elle contempla les ombres comme des caresses dans ce dos et imagina combien était désirable cette nuque enfouie dans ce bouquet de roses et éblouie par son regard ardent. Le papier noir et blanc était à peine marqué de ses traces. Aucune bandelette ne venait plus chahuter l’ombre et la lumière. Une paix insaisissable remplissait le cadre. L’éternité était à portée de mains, à la croisée du carré en triangle.

Seule la vie sait offrir ainsi des dénudations épidermiques qui parlent
sous une chemise déboutonnée, et on ne sait pourquoi
le regard incline à gauche plutôt qu’à droite,
vers le monticule de chair frisée.
Mais c’est ainsi et c’est un fait.
Mais c’est ainsi et cela est fait (1).

Elle était assise en face de lui. Elle avait fermé les yeux. A cette heure-là du matin, les voyageurs avaient du mal à sortir de leurs rêves. Il s’amusait à compter les grains de beauté qui se laissaient voir entre le voile de son foulard et le tissu léger de son corsage. Sous son regard qu’elle savait rond comme les enfants de la Rue de Balthus, qui fixent droit devant eux l’éternité, elle se demandait pourquoi sa chemise était déboutonnée jusqu’au milieu. Elle n’osait en savoir plus. En tout cas même, elle décida de ne pas l’oublier. Le contact de ses mains sur ses genoux semblait ne pas vouloir s’évanouir.

Elle écrivait depuis deux jours et deux nuits. Les mots étaient difficiles. Elle s’appuyait de temps en temps sur ceux qu’elle retrouvait dans le désordre de son bureau, sur les pages volantes de ses cahiers, dans ses livres marqués au crayon, ceux créés par un moteur de recherche, ou quand elle n’en pouvait plus, elle ouvrait son vieux dictionnaire. Il lui manquait des mots étrangers. Elle n’avait pas su l’approcher derrière l’écran, sa musique avait perdu de son écho. Elle n’avait abandonné aucun de ces rêves dans son combat. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. Alors elle essayait encore quelques mots qu’elle prenait plaisir à associer encore à quelques unes de ces photos. De celles qu’elle pouvait montrer. Des photos difficiles à trouver aussi. Un effort nécessaire pour ouvrir à nouveau quelques-uns les mots clés de ses rêves, tous les fragments d’étoiles et les poussières de pays encore inconnus. Inachèvement.

Les oiseaux avaient repris leurs chants de plus belle. La pluie avait lavé la terrasse, elle allait pouvoir finir le petit chenin. Ses prochains travaux toucheront en même temps que ses pieds les terres sauvages arctiques. Elle s’en réjouissait et n’en dormait plus.

Les éclairs, puis le tonnerre, étaient loin. Dans la chaleur exceptionnelle, moite, de ce mois de mai, elle s’habilla dans l’obscurité. Elle allait sortir, quand il lui demanda un dernier baiser. Dans la rue, elle pensa que c’était leur quatrième nuit.

1. Artaud, Le suicidé de la Société


mercredi 26 avril 2006
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