Chardon rose / Loup

touffe

Promenade sur la dune

elle s’était arrêtée pour regarder
cette fleur d’un rose glacé
un chardon non inultus premor

évidemment elle s’y frotte
c’est impressionnant son imprudence des fois
quel que soit le danger
elle est attirée par ce qu’elle appelle la beauté
et qui doit faire référence à des mythes anciens
dont on lui a rabattu les oreilles quand elle avait 20 ans
et qu’elle s’empresse d’oublier tous les jours....

« Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse »

une affaire entre le bien et le mal, l’enfer et le paradis
ça lui plait bien comme idée
parce que justement ces idées ne lui disent rien
malgré son éducation religieuse
elle les a balayés depuis longtemps de sa mémoire
ces mots peuvent lui échapper
au cours d’une conversation par exemple,
mais elle parle peu
elle en sera toute étonnée
heureuse
de découvrir ces mots, ces mots nouveaux à nouveau
qui n’ont pas de sens
elle se dit qu’il faudrait un jour se pencher sur la question d’un dictionnaire
de ces mots qui ne lui appartiennent pas et qu’elle aime ...

plus loin, sur la dune, près de la mer
elle regarde les cailloux

du granit bleu-vert
comme c’est annoncé dans les brochures

elle s’arrête devant cette touffe de vert-jésus
qui la tente
elle va essayer de trouver un cadrage pour elle

justement elle n’y pensera pas, au cadrage
elle a horreur des limites
des définitions
normal, elle veut continuer son dictionnaire

finalement
les couleurs vont bien ensemble
le fuscia (elle a horreur de ce mot qui lui rappelle les années 70) et le vert
des couleurs complémentaires

« Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles »

enfin, elle se décide de partir

quand elle prend l’autoroute, elle va toujours tout droit
elle a l’habitude de louper toutes les sorties
heureusement elle est toute seule !
personne ne l’attend
son chat est entre de bonnes mains, elle ne s’inquiète pas

c’était sur la carte
c’était prévu
elle avait réussi à écrire sur un bout de papier
son programme de la journée

elle a raté la sortie, c’était quasiment sûr...
elle sortira à la prochaine

dans son sac
son Nikon et une poignée de pétales de rose
c’est tout ce qu’il lui reste

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« La démarche de l’esprit se frayant un chemin à l’envers des choses menait à coup sûr à des profondeurs sublimes, mais rendait impossible l’exercice même qui consiste à être. Il avait trop souvent aliéné le bonheur d’aller droit devant soi dans l’actualité du moment, laissant le fortuit redevenir son lot, ne sachant pas où il coucherait ce soir, ni comment dans huit jours il gagnerait son pain. Le changement était une renaissance et presque une métempsychose. Le mouvement alterné des jambes suffisait à contenter l’âme. Ses yeux se bornaient sans plus à diriger sa marche, tout en jouissant de la belle verdeur de l’herbe. L’ouïe enregistrait avec satisfaction le hennissement d’un poulain galopant le long d’une haie vive ou l’insignifiant grincement d’une carriole. Une totale liberté naissait du départ. »

“La promenade sur la dune”, L’Oeuvre au noir, Y.

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F., vendredi 16 décembre 2005

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