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une nuit de juin
Loyola / Loup

retour du marché

elle rentrait du marché les mains gelées, elle avait de la peine à écrire au clavier, mais il le fallait ; elle avait depuis ce matin continué cette histoire de personnage prenant l’autoroute, toute cette nuit sans doute et en marchant ce matin ; elle croquait dans une belle tartine de confit de foie de canard sur du bon, pain, elle s’était servi un verre de vin, de ce vin du chinonais qu’elle bouche avec son père, et s’était mise à écrire ; son chat pleurait depuis ce matin, il ne savait plus où dormir : sur la chaise, dans le placard -mais elle avait repris sa laine, il faisait trop froid - ou sur le plaid perse ? ... il avait un problème de place, comme elle, à vrai dire....

est-ce qu’il avait pu se faire également une tartine de papiers et de confiture de nèfles avec les livres qu’il avait trouvés aux puces ce matin ?

si Pepe Carvalho brûlait les livres de sa bibliothèque en se préparant de bons ragoûts, celui-ci mangeait du papier blanc... comme s’il fallait se priver des bonnes choses ; on n’est pourtant pas en guerre, même si le couvre feu est toujours d’actualité

elle repensait à cet autre samedi du mois de juillet où il avait rapporté une vingtaine de livres, lui avait-il écrit, un joli Trintzius qu’il n’imaginait pas chez Artaud, et un exemplaire des éditions Fasquelle de Cyrano

comment savoir de quoi il vivait, cet homme ?

il ne fallait pas qu’elle en sache trop... d’ailleurs il le lui avait demandé ; seulement voilà, elle était curieuse comme une (vieille) chouette ; d’ailleurs depuis qu’il lui avait parlé de Loyola, sa chouette, elle était intriguée au point où elle s’était demandée si elle n’était pas en train de tomber peu folle

pour garder l’appétit, elle allait tâcher de changer le cadrage, de décentrer l’objet de son désir, parce qu’elle se trompait peut-être, "parce que c’est le désir en soi que l’on savoure dans son objet, beaucoup mieux que toutes ses fins"

pour réaliser cet exercice difficile, elle essayait de réfléchir à des herbes pour cuisiner l’écureuil de Jean Genbach
laisser la part de liberté inventer son personnage.... et porter cet homme vers d’autres frontières, d’autres limites, encore plus loin ...

elle regrettait de n’avoir pas pris en photo le "miroir aux allouettes" qu’elle avait aperçu sur une brocante en Touraine, elle qui croyait que ce n’était qu’une expression populaire...
elle était presque choquée de voir que cela existait
elle adore ce décalage permanent " Entre les mots, entre les lignes et sous le fard, D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit" (Ferré toujours, elle l’écoute quand ça va mal, ce mal qui fait du bien)

elle avait hâte qu’il lui racontât l’histoire du miroir Brot ...

à quelle heure ?


F., samedi 17 décembre 2005
Messages
  • Blake
    21 décembre 2005, par fg

    elle avait pris un verre avec lui
    cette fois-ci elle avait décroché le téléphone
    alors qu’elle pleurait, il lui avait servi un verre de Vodka
    Blake lui avait montré les cartes par où il était passé
    elle avait parcouru les pays en suivant ses mots simples et enflammés, à la mesure de sa passion, de sa vie chaotique et qui lui semblait si merveilleuse
    Blake lui avait suggéré de passer la frontière, il connaissait des amis qu’elle pouvait contacter de sa part, là-bas elle pourrait écrire en toute liberté
    personne ne viendrait la déranger

    est-ce qu’elle pouvait emporter son chat ?

  • retour du marché
    21 décembre 2005, par Boro
    C’est comme cela que je l’avais connu, c’est comme ça que je l’aimais le mieux : gourmande. Gourmande de soleil sur les bords de la Seine, de sel et d’iode sur les bords de l’océan. Comment une photographe ne pourrait pas être gourmande. Comment nous offrir des images sans gourmandise. Elle le comprenait elle-même : il lui fallait changer de cadrage. Alors d’accord pour la pomme mais avec un foie gras et des huîtres, et d’accord pour le chocolat mais dans un civet de langouste... Propositions sans doute dérisoires, mais j’avais l’impression que les prouesses des sandinistes, les fumeroles nauséabondes du Momotombo ou la sexualité des indiens shuars, n’arrivaient pas à la soustraire au magnétisme des miroirs. J’avais envie qu’elle les brise, mais elle y était si belle. J’avais envie que dans une nuit d’émeute elle rencontre Pepe.
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